Leucaena, L`arbre champion toutes catégories
1987
Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation
Une vitesse de croissance exceptionnelle, une production de bois et de fourrage incomparable, la capacité de fertiliser le sol qui le nourrit, telles sont les principales vertus du Leucaena leucocephalla Un vice cependant, la présence de mimosine dans ses feuilles, acide aminé toxique pour le bétail, qui a long temps entravé son développement à des fins fourragères. Mais la recherche est sur le point de résoudre ce problème et le Leucaena semble donc désormais promis à un brillant avenir dans les zones tropicales. Oaxaca, c'est le nom d'un grand Etat et d'une ville importante du Mexique. Chez les Zapotec, peuple prospère au milieu du XVIème siècle, « uaxin » -que les colonisateurs espagnols ont adapté en « oaxaca »-signifie : « là où le Leucaena pousse ». Au cours des siècles, si le Leucaena leucocephala s'est répandu dans bien d'autres régions, il demeure encore présent dans son pays natal, non seulement dans le nom des lieux mais aussi par le grand nombre de variétés de cette espèce qui s'y trouvent. C'est la variété commune de Leucaena, petit arbuste d'environ cinq mètres, robuste et vigoureux, grand producteur de graines qui, la première, franchit les océans et se répandit sous les tropiques. Première escale de ce long périple : les Philippines. Partis d'Acapulco à destination de Manille, les navires espagnols affrétés par les premiers colons contenaient, outre le poivre, la vanille, le cacao, et le café, des feuilles de Leucaena pour nourrir le bétail embarqué. Les graines ne tardèrent pas à se répandre sur les îles, et le Leucaena révéla vite ses prouesses aux populations locales. Le Leucaena put donc suivre sans encombre la progression des colonisateurs espagnols dans leurs nouvelles possessions puis s'étendre, à partir du XIXème siècle, jusqu'aux Indes Orientales Hollandaises (Indonésie actuelle), en Papouasie Nouvelle Guinée, en Malaisie, dans le Sud-Est Asiatique et enfin, en Afrique de l'Ouest. Jusqu'à une époque récente, seule cette variété dite « commune » du Leucaena leucocephala était véritablement connue. Mais, dans les années soixante, des recherches entreprises, principalement aux îles Hawaï, ont permis de dénombrer plus de huit cents variétés, classées en trois grands groupes : Le premier groupe est constitué de la variété « commune » que les agriculteurs réservent aujourd'hui seulement à un rôle de régénération du sol. C'est en effet une variété dont la faible production de fourrage et de bois ne supporte pas la comparaison avec ses congénères. En outre, ses qualités de vigueur et de résistance peuvent parfois être à double tranchant, transformant ce qui devrait être une culture maîtrisée en une, invasion incontrôlable de mauvaise herbe. Le deuxième groupe comporte des arbres d'environ vingt mètres de hauteur qui confèrent le titre de « géant » à ce type de Leucaena. Ces variétés sont très recherchées pour la production de bois, exceptionnelle par sa quantité. De grandes plantations de Leucaena géants existent aujourd'hui en zone tropicale, notamment en Inde, en Thaïlande et aux Philippines. Enfin, le groupe dit « du Pérou » comprend les variétés de Leucaena de hauteur moyenne (environ dix mètres) et dont le très grand nombre de branches basses en fait d'excellents arbres fourragers. Petits arbustes ou variétés géantes, fertilisant, ressource fourragère ou ligneuse, les Leucaena leucocephala ne se ressemblent pas mais n'en possèdent pas moins des caractéristiques communes. Appartenant à la grande famille des légumineuses, le Leucaena possède le privilège de transformer l'azote de l'air contenu dans la terre en composés assimilables par la plante. Grâce au Rhizobium, bactérie du sol qui pénètre les jeunes racines et se multiplie au sein des nodules, l'arbre peut fixer l'azote atmosphérique. C'est ainsi que sur des sols pauvres, où nulle culture ne saurait être envisagée, le Leucaena pousse sans engrais. En effet, en plus de son pouvoir fertilisant, il sait exploiter toutes les ressources du milieu. Il est aidé en cela par les mycorhizes, minuscules champignons qui recouvrent ses radicelles et ont l'avantage de favoriser une meilleure exploitation des éléments minéraux du sol. D'un point de vue physique, la nature a aussi beaucoup privilégié cette espèce en lui attribuant des racinespivots capables de traverser des couches d'argile dure et, dans certains cas, d'atteindre une profondeur de deux mètres en moins d'une année. Ce système racinaire très performant permet au Leucaena d'exploiter l'eau et les sels minéraux à des profondeurs que peu de végétaux atteignent. Une saison sèche de huit ou dix mois ne saurait avoir raison d'un Leucaena ; même si à ce terme, sa production se trouve considérablement réduite, voire nulle, l'arbre est encore vivant et reprend à la première pluie. Dans la province natale du Leucaena, à Oaxaca, les périodes productives sont rares : de fortes sécheresses détruisent souvent plusieurs années de suite toute forme de culture. Sauf les Leucaena. Cependant, si l'on veut tirer parti des qualités de production de cette espèce, certaines exigences climatiques et pédologiques doivent être satisfaites. Ainsi, malgré ses performances de survie sur des sols marginaux, c'est un arbre qui ne pousse pas, ou peu, sur des sols acides ou des sols à haute teneur en alumine, sols qui sont malheureusement très répandus au Sahel. En revanche, sur des sols frais, profonds, neutres ou alcalins, lorsque la pluviométrie (800-2000 mm) et la température (pas de gel) sont favorables, le Leucaena peut offrir des productions multiples et abondantes. Parmi celles-ci, vient en premier lieu le bois. Les variétés géantes de Leucaena peuvent se voir aujourd'hui attribuer deux premiers prix dans ce domaine : le prix du meilleur producteur annuel de bois (en moyenne 45 t de matière sèche par hectare et par an, en conditions exceptionnelles 80 t, soit trois à dix fois les rendements en biomasse les plus courants) et le prix de la plus rapide croissance (18 m en quatre à huit ans, 20 à 37 cm de diamètre pour le tronc). A ces premiers prix viennent s'ajouter plusieurs accessits non négligeables : des plantations que l'on peut effectuer à des densités dépassant 10.000 pieds à l'hectare, pourvu que le sol et le climat s'y prêtent, la production d'un bois très dense. A Taiwan, les industriels qui ont planté 10.000 ha de Leucaena pour la production de papier, de rayonne et de bois d'oeuvre profitent de ces qualités de croissance et de dureté qui en font un bois aux usages multiples. Aux Philippines, les autorités qui mettent actuellement en place un programme d'électrification rurale très important fondé sur la combustion du bois de Leucaena, comptent exploiter son pouvoir calorifique et faire des économies sur la facture énergétique : à 4.640 kcal/kg, un hectare planté de Leucaena permet de fournir l'équivalent de 25 à 30 barils de pétrole par an. Cependant, les chercheurs du Centre Technique Forestier Tropical, en France, tiennent à souligner que le Leucaena ne peut pas toujours être une solution au problème de la désertification en Afrique, comme il a été trop souvent proposé. Les sols ferralitiques ou latéritiques arides sahéliens, ne conviennent pas au Leucaena. En revanche, c'est une essence prometteuse pour les projets de petits boisements villageois (collectifs ou individuels) dans des sites bien choisis. Bon pour l'industrie et l'énergie, le Leucaena est aussi un allié précieux pour l'agriculture. En effet, dans de nombreuses régions tropicales, le Leucaena est recherché pour ses grandes quantités de régénération et de fertilisation du sol. Les feuilles mortes et les brindilles tombées à terre se décomposent et enrichissent le sol en élément azotés et minéraux remontés des couches profondes par les racines aidées des mycorhizes. Ainsi, à Hawaï, des mesures ont montré que les feuillages de Leucaena récoltés pendant un an sur un hectare de terre contenaient 44 kg de phosphore, 187 kg de potassium, ainsi que du calcium et de nombreux microéléments. C'est pourquoi, à Hawaï et aux Philippines, les agriculteurs plantent des Leucaena en association avec leurs cultures de céréales (principalement maïs). A titre d'exemple, dans la région des Visayas aux Philippines, une parcelle de maïs qui ne donnait que 0,66 t/ha/an a pu, seulement deux ans après la mise en place de haies de Leucaena plantées à deux ou trois mètres des cultures, doubler ses rendements. Ailleurs, sur le continent africain, au Nigéria, des sols sableux infertiles ont été mis en place en cultures associées maïs/igname/riz/haies de Leucaena. Ici, les feuilles et les branchages du Leucaena sont utilisés comme engrais vert azoté. Dès la deuxième année, des rendements de trois à cinq tonnes à l'hectare ont été obtenus, sans aucune adjonction d'engrais, ce qui représente environ quatre fois la récolte de maïs en Afrique. Autres bénéficiaires des multiples vertus du Leucaena, les troupeaux qui préfèrent souvent ses feuilles à beaucoup de cultures fourragères. Grand bien leur fasse puisque les vétérinaires en vantent la haute valeur nutritive : présence d'une forte proportion de protéines, de l'ordre de 25 à 30 % dans la matière sèche, bon équilibre d'acides aminés, de vitamines et d'éléments minéraux. Tout comme les variétés forestières, les Leucaena du groupe du Pérou, producteurs de fourrage, se distinguent non seulement par la qualité mais aussi par la quantité de la biomasse qu'ils produisent : dans une plantation bien entretenue et régulièrement taillée, la production peut atteindre 6 à 18 t/ha/an de matière sèche comestible (feuilles et tiges). La luzerne, pourtant symbole des vertus fourragères, n'en produit que de 8 à 9 t et seulement 2 à 3 t en conditions arides... conditions qui n'affectent pas le Leucaena lorsque son profond système racinaire peut atteindre la nappe phréatique. Beaucoup d'agriculteurs des zones tropicales ont créé des plantations de ce type de Leucaena à des fins fourragères à des densités de 75.000 à 140.000 plants/ha. Plus nombreux encore sont ceux qui ont parsemé leurs cultures intensives de ces variétés recherchées des animaux, sans que ne s'exerce de concurrence, bien au contraire puisque les cultures en profitent aussi. D'autres les ont disposées en haies le long des routes ou leur ont attribué pour les valoriser, des terres incultes. Pour les animaux, les gains de poids s'élèvent à 300-400 kg/ha/an, 800 kg dans les conditions optimales. Les plus fortes charges d'animaux sont obtenues lorsque le Leucaena est mis en association avec des cultures fourragères, atteignant en moyenne 2,5 têtes/ha, mais supportant parfois la charge exceptionnelle de 6 têtes/ha. Cependant, le développement du Leucaena comme producteur de fourrage a été entravé par la présence d'un élément contenu dans ses feuilles, la mimosine, toxique pour certains animaux. Cet acide aminé se transforme dans le système digestif de l'animal en un composé, DHP (Dihydroxypyridine), qui affecte les glandes thyroïdiennes. Ainsi, en Australie, en Papouasie-Nouvelle Guinée et dans beaucoup de pays africains, une alimentation fourragère contenant plus de 30 % de feuilles de Leucaena provoque de graves troubles pour le bétail : chute de poids, perte de poils, croissance ralentie, apathie, disfonctionnement du système reproductif. Pourtant, ailleurs, en Indonésie, en Inde ou à Hawaï par exemple, les animaux croissent et produisent avec un régime constitué à 100 % de feuilles de Leucaena. D'après les études entreprises par des chercheurs australiens, ce phénomène n'est dû ni à la variété de Leucaena, ni aux races spécifiques des pays concernés, mais plutôt à la présence dans le rumen des animaux d'une bactérie qui détoxifie le composé DHP. Les recherches portent actuellement sur le transfert de cette bactérie chez les animaux qui ne la possèdent pas. Déjà, la souche bactérienne a été isolée, cultivée in vitro et inoculée à des animaux. Inoculation très aisée puisqu'elle peut se faire naturellement au sein d'un même troupeau par l'intermédiaire de la salive laissée sur le feuillage. Le CIPEA (Centre International pour l'Elevage en Afrique) a effectué des tests tout à fait encourageants qui laissent prévoir que cet obstacle pourrait être surmonté. Une autre solution peut aider à résoudre ce problème posé par la mimosine : l'élaboration d'espèces de Leucaena hybrides dont les feuilles seraient dépourvues de cet acide aminé. Puisqu'il existe des espèces de Leucaena dont la teneur en mimosine des feuilles est tout à fait supportable par les animaux (Leucaena pulverulenta) mais dont la production de feuilles est faible, l'hybridation de celles-ci avec le Leucaena leucocerphala cumulerait les qualités des deux espèces. C'est ce que tentent actuellement avec des premiers succès des chercheurs australiens. Ainsi, le seul inconvénient du Leucaena pourrait être surmonté. Mais l'exploration variétale du Leucaena peut encore réserver de bonnes surprises. Pendant longtemps, des nombreuses variétés du genre Leucaena, seul le Leucaena leucocephala a fait l'objet de recherches et d'expérimentations. Aujourd'hui, d'autres variétés connaissent à leur tour l'intérêt des forestiers et des chercheurs. Ceux-ci découvrent que certaines variétés permettent d'étendre l'aire de répartition de cette famille : les sols acides, qui ne conviennent guère au L. leucocephala, peuvent abriter le L. diversifolia et le L. shannoni ; L. pulverulenta se singularise, lui, par sa très grande tolérance à la sécheresse, sa meilleure adaptation au froid et sa production d'un bois très dur ; quant aux régions montagneuses tropicales, ce sont les espèces L. diversifolia et L. esculenta qui présentent la meilleure croissance. Exigeant peu et donnant beaucoup, le petit arbuste des Zapotec du Mexique est-il encore une plantemiracle comme on en a vu de nombreuses présentées ces dernières années ? Contrairement à d'autres qui ne sont pas sorties des parcelles expérimentales, le Leucaena s'est déjà très largement répandu de par le monde en milieu villageois, chacun en tirant les bénéfices qu'il pouvait y trouver. Aujourd'hui, la recherche peut en améliorer les performances et en élargir l'aire de culture, elle ne devrait pas avoir trop de mal à convaincre les paysans. BIBLIOGRAPHIE Leucaena : promising forage and tree crop for the Tropics. National Acadamy Press-Washington ETATS-UNIS 1984. Le Leucaena : mirage ou miracle. Réseaux. Bulletin du Groupe de Recherche et d'Echanges Technologiques. aoûtsept. 1986. I.D.R.C. Reports. P.O. Box 8500 OttawaCANADA
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