Etude hydrobiologique du Rhône. CNPE du Tricastin. Résultats de l’année 2022
2023
Carrel, Georges | Marchandise, Alexis | Dadure, Robin | Lizée, Marie‐hélène | Fayolle, Stéphanie | Archambaud‐suard, Gaït | Risques, Ecosystèmes, Vulnérabilité, Environnement, Résilience (RECOVER) ; Aix Marseille Université (AMU)-Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) | EDF | INRAE, RECOVER, Aix-en-Provence
French. Le suivi hydrobiologique du Rhône au droit du Centre Nucléaire de Production Electrique du Tricastin a débuté en 1980. Ce rapport présente les résultats obtenus en 2022. L’objectif est de suivre l’évolution naturelle du milieu récepteur et de déceler une évolution anormale en lien avec le fonctionnement du CNPE.Du fait de la modification des arrêtés depuis les études initiales et de la réglementation quant aux méthodes et normes pour l’évaluation de la qualité biologique du milieu fluvial, le suivi hydrobiologique intègre actuellement trois compartiments biologiques : les diatomées benthiques, les macroinvertébrés et les poissons.Contexte hydroclimatique En France métropolitaine, avec une température moyenne annuelle de 15,5°C, et de +1,6°C supérieure à la moyenne de référence 1991-2020, l’année 2022 se place au premier rang des années les plus chaudes depuis 1900. Elle a été marquée par des épisodes remarquables de chaleur précoce (mai) et tardif (octobre) et trois vagues caniculaires successives au cours de l’été. La seconde a été particulièrement remarquable avec une température moyenne journalière de 37,6°C atteinte le 18 juillet.La douceur du mois de décembre 2022, du même ordre que décembre 2020 et 2021, conforte la tendance vers des hivers de plus en plus doux. Ces températures élevées sont allées de pair avec un déficit hydrologique important sur le Rhône ayant débuté dès le début de l’année et s’étant maintenu jusqu’en novembre.PhytobenthosL’échantillonnage annuel a été réalisé en amont (S2) et aval (S7) du CNPE au cours de la campagne estivale du 25 août 2022. Il a permis d’inventorier 40 espèces représentées par des Diatomées (36 espèces), des Chlorophycées (1 espèce), des Cyanobactéries (2 espèces) et des Euglénophytes enkystés. De nombreux hyphomycètes aquatiques (champignons) sous forme de conidies ont été répertoriés, en particulier en amont du site. Parmi les Diatomées les plus représentées, figurent les espèces Ulnaria ulna, Diatoma vulgaris et Gomphonema parvulum avec des densités faibles et variables sur les deux stations.Il apparait une nette prédominance du binôme algal Diatomées – Cyanobactéries sur la station amont avec de multiples conidies de champignons aquatiques, tandis qu’à l’aval, le peuplement algal phytobenthique est majoritairement constitué par des Cyanobactéries. Les densités cellulaires sont très faibles pour cette période estivale et peuvent s’expliquer par l’observation simultanée (i) de la présence hégémonique de champignons aquatiques (hyphomycètes) qui donnent une couleur marron à l’eau dans les échantillons et (ii) des particules sédimentaires noires et huileuses en forte quantité mélangées au biofilm épilithique. Le calcul de l’Indice Biologique Diatomées (IBD, norme NFT 90-354) a attribué respectivement les notes de 13,1/20 à l’amont (qualité bonne) et 12,6/20 à l’aval (qualité passable). La prise en compte des Cyanobactéries en termes de qualité des biocénoses attribue une classe de qualité biocénose « bonne » à l’amont et « passable » à l’aval ce qui corrobore l’évaluation de la qualité biologique obtenue à partir du calcul de l’IBD pour la station aval. L'étude réalisée ne permet pas de percevoir un impact du CNPE sur les communautés phytobenthiques avec des notes témoignant d’un état très faiblement plus altéré à l’aval qu’à l’amont.MacroinvertébrésAu droit du site nucléaire implanté sur le canal usinier de Donzère-Mondragon, la faune benthique est exclusivement étudiée à partir de substrats artificiels standardisés dits de type Verneaux. Ils sont déposés sur le fond entre 1,3 et 3,6 mètres pour une durée de 4 semaines dans trois stations situées respectivement à l’amont immédiat de la prise d’eau (S2), au rejet thermique (S3) et en aval de l’usine de Bollène (S7). Les échantillons récoltés et traités in situ lors de la relève des substrats sont ensuite tamisés au laboratoire selon le protocole de la norme IQBG. A partir de ces échantillons par substrats artificiels, la qualité biologique est estimée à l’aide de l’Indice de Qualité Biologique Potentielle (IQBP) et d’une estimation de l’Indice Biologique Global Adapté aux grands cours d’eau (IBGA) bien que le canal ne se prête pas à une application stricte de la méthode d’échantillonnage.Deux campagnes ont été réalisées en 2022, en fin de printemps entre le 16 mai et 13 juin, et à l’automne entre le 6 septembre et le 3 octobre. En 2022, trente-neuf taxons répartis au sein de dix groupes faunistiques ont été échantillonnés. Les richesses sont très variables selon les saisons, très faibles au printemps dans les stations Amont et Aval, avec des valeurs inférieures au premier quartile de la chronique 1979-2022 ; en automne, les richesses augmentent nettement dans les trois stations, avec un maximum pour la station Rejet.Depuis l’épisode caniculaire de 2003, le peuplement des macroinvertébrés est dominé par le groupe des Crustacés, majoritairement constitué par des espèces allochtones en provenance du bassin Ponto-Caspien. En 2022, ces derniers représentent 49,7% des effectifs, devant les Mollusques 37,3%, principalement représentés par Theodoxus fluviatilis. Ces Gastéropodes sont extrêmement abondants à la station Aval aux deux saisons. Les Diptères constituent le troisième groupe abondant dans les stations Rejet (22.5%) et Aval (9,2%), tandis que les Oligochètes sont abondants (8,2%) à la station Rejet en automne. Les autres groupes ne représentent que 4,5% des individus récoltés.En termes de qualité biologique, les IQBP maximisés sont très faibles au printemps et faibles à l’automne, compris entre 3 et 10/20 selon les saisons et stations. Il en est de même pour les notes estimées des IBGA, comprises entre 3 et 8/20. Ces indices indiquent une dégradation biologique importante du fleuve sur ce tronçon.Les tracés des notes indicielles moyennes annuelles sur la chronique 1979-2022 montrent un net affaiblissement du potentiel biologique depuis 2003, et surtout 2009. En 2019, les trois stations chutent de nouveau, montrant une situation plus dégradée qu’en 2018. En 2020, les notes restent très basses, en 2021 elles augmentent en restant inférieures à 10/20, et en 2022 elles se stabilisent à Rejet et Aval et diminuent à Amont (5/20). La dégradation constatée à partir de 2003 a fait suite à l’arrivée massive d’espèces exotiques et à leur caractère invasif, entre autres les espèces ponto-caspiennes : Crustacés des genres Dikerogammarus, Corophium, Jaera et Polychètes du genre Hypania. L’analyse de la chronique récente postérieure au basculement post-2003 a confirmé le succès de ces nouvelles espèces et également montré une diminution marquée après 2009 de la représentativité des espèces autochtones euryèces, dont les Ephéméroptères et des Trichoptères.L’analyse fonctionnelle du peuplement révèle peu de différences entre les trois stations peu biogènes du canal. Globalement, le peuplement est composé d’espèces polluo-résistantes vis-à-vis de l’eutrophie, eurythermes et adaptées aux conditions chaudes. Il est caractérisé par la dominance d’organismes à cycle de vie court (< 1an), à fort taux de reproduction et plusieurs générations par an.Dans ce contexte d’homogénéisation des communautés, les différences amont/aval s’estompent et il n’est pas possible d'identifier un impact du CNPE sur les communautés d’invertébrés aquatiques du canal de Donzère-Mondragon. En effet, à l’amont comme à l’aval, les notes obtenues à partir de cette surveillance (toutes inférieures à 10/20) témoignent d’une qualité biologique très dégradée sur l’ensemble du canal.Faune piscicoleSuite à de nouvelles exigences réglementaires, le calcul de l’Indice Poisson Rivière selon la Norme NF T90-344 (01.07.2011) est réalisé depuis 2016. Basé sur un protocole spécifique et l’Echantillonnage Ponctuel d’Abondance (EPA), deux stations localisées dans le canal usinier, à l’amont de la prise d’eau du CNPE et à l’aval de l’usine hydroélectrique de Bollène, sont pêchées sur les deux rives. Ces données s’ajoutent aux résultats des prospections continues d’un linéaire de rive (LRC) pratiquées trois fois, voire cinq fois par an comme en 2022. Six stations sont échantillonnées depuis 1996. Elles sont localisées à Viviers (S1), puis dans les environs immédiats du CNPE respectivement à l’amont (S2), au rejet (S3) et à l’aval (S4), dans le vieux-Rhône en aval de Pont-St-Esprit (S5), et dans la retenue de Caderousse à l’aval de la confluence du canal usinier (S6). A l’échelle de ce tronçon fluvial de 35 kilomètres, le peuplement piscicole est caractérisé par la présence de 38 espèces réparties au sein de 19 familles selon le référentiel taxonomique actuel. Dix espèces de l’ancienne famille des cyprinidés, appartenant aux Acheilognathidae (bouvière), Cyprinidae (barbeau fluviatile), Gobionidae (goujon et goujon asiatique) et Leuciscidae (ablette, chevaine, gardon, hotu, brème bordelière et spirlin) comptent parmi les plus abondantes (>1%) et représentent près de 95% des effectifs. Sur la période considérée (1996-2022), trois Leuciscidae euryèces dominent largement les captures : l’ablette (32,7 %), le chevaine (20,4 %) et le gardon (12,8 %), et vingt-sept espèces, toutes familles confondues, sont peu abondantes (< 1%).Il est important de rappeler la présence de quatorze espèces allochtones sur l’axe fluvial dont six sont apparues sur ce tronçon fluvial depuis les études initiales à la fin des années 1970. La variabilité interannuelle et les changements observés au sein du peuplement piscicole ont été étudiés par une analyse multivariée (ACP inter-années biologiques) des effectifs corrigés de 146 taxons définis sur la base d’un découpage en classes de taille. Le tableau global regroupe deux campagnes de pêches par année biologique : l’automne de l’année n et le printemps de l’année n+1 réalisées sur les six stations du suivi, soit 323 pêches électriques pour la période 1996-2022. L’intérêt de l’analyse de la chronique réside dans le positionnement des résultats annuels au sein de la chronique et l’expression de l’amplitude de variabilité observée sur la période considérée. Si les modifications sont parfois importantes et pérennes suite à des évènements hydrologiques majeurs (fortes crues) et/ou des étiages marqués, elles sont essentiellement progressives, en réponse à l’augmentation sensible de la température des eaux depuis 1988. Les changements les plus récents et les plus visibles sont associés à une baisse importante des effectifs de gardons, au succès des petites espèces dont le goujon asiatique et la bouvière sont les plus représentatives, et la régression des effectifs des individus « adultes » des espèces longévives atteignant de grande taille. Le contexte hydroclimatique de l’année 2022 a été tout à fait exceptionnel. Il a été caractérisé par la modicité des débits tous les mois de l’année, l’installation durable d’un étiage prononcé, une précocité thermique printanière, un automne chaud et prolongé, des températures estivales élevées et des épisodes successifs caniculaires. Ces conditions de stabilité hydrologique se sont avérées favorables pour la reproduction des poissons, la survie des jeunes stades, et la croissance estivale des juvéniles des espèces phytophiles (exemple : le brochet), phyto-lithophiles (brème bordelière, gardon) et lithophiles (chevaine, hotu, spirlin, toxostome). Si la croissance des jeunes poissons a été remarquable, notamment en comparaison avec l’année 2021 plus froide, des données complémentaires acquises dans le cadre de travaux de recherche ont permis de montrer que les tailles atteintes en septembre par les jeunes chevaines ont été moindres en regard de la longue période de températures supérieures à 12°C. Il est probable que les fortes températures de l’été et le nombre de jours successifs pendant lesquels la température a excédé 25°C ont été des facteurs de stress au cours de cette période de croissance.Les pêches par EPA destinées aux calculs de l’IPR ont été réalisées le 12 septembre 2022. Cette année, le nombre de points nuls a été nettement moins élevé que les années précédentes, en particulier à l’amont : 6 points nuls sur 100 à l’amont et 29 points nuls sur 100 à l’aval. Dans une application stricte du calcul de l’IPR à partir des 100 EPA, les notes obtenues classent les deux stations en qualité « bonne » (15,3 et 9,6 pour les stations amont et aval, respectivement). Le nouvel indice IPR+ est plus sévère et classe la station aval en qualité « bonne » (IPR+ = 0,726 ± 0,129), et la station amont, beaucoup moins diversifiée en termes d’habitats, en qualité « moyenne » (IPR+ = 0,586 ± 0,154).Bien que le fond faunistique régional soit identique, l’existence d’un fonctionnement hydraulique et thermique propre à chaque entité physique du tronçon fluvial étudié (canaux, retenues, sections court-circuitées) se traduit par des spécificités locales des assemblages de poissons. Au niveau du canal de Donzère-Mondragon, du fait d’une grande homogénéité physique, et en l’absence de rives naturelles, le chenal navigable s’avère biologiquement le milieu le plus pauvre. Quel que soit le paramètre pris en compte, les comparaisons entre stations mettent en avant les potentialités moindres des trois stations (S2, S3 et S4) et les faibles occurrences des espèces. L’artificialisation globale de ce tronçon ne permet pas d’identifier un impact propre à l’existence du CNPE, à l’exclusion de spécificités associées à l’attractivité du rejet thermique pour certaines espèces.Mots-clés : Bas-Rhône médian, hydrobiologie, chroniques environnementales, centres nucléaires de production électrique, Tricastin
Show more [+] Less [-]AGROVOC Keywords
Bibliographic information
This bibliographic record has been provided by Institut national de la recherche agronomique